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lycée banlieue culture
13 décembre 2007

Le Val Fourré, son dynamisme

Une France dynamique

Elèves du quartier du Val Fourré à Mantes (78)

mai 2000

mantes

Il ne s’agît pas d’une étude sociologique, mais de témoignages. Ces jeunes fiers de leur quartier veulent en donner une image nouvelle. Témoignages recueillis à l'occasion de cours d'éducation civique.

1) Itinéraire d’un marocain en France

L’élève Aïcha a interviewé son père. Ici elle résume.

« Arrivé en France à l’âge de dix-sept ans (vers 1967 ?), la tête pleine de rêves, je souhaitais travailler afin de subvenir aux besoins de mes parents. En effet la vie au Maroc n’était pas des plus agréables pour un jeune étudiant ; il fallait partir à l’étranger pour s’en sortir. Des entreprises françaises étaient venues dans mon lycée pour appeler certains d’entre nous à travailler en France. C’est ainsi que je pris le train qui m’amena à Poissy.

Mis à part certaines réflexions raciales, mon intégration se fit facilement, ce qui ne fut pas toujours le cas de tous mes compatriotes. L’un des seuls « boulots » que cette société occidentale nous proposait était le travail à la chaîne dans les entreprises d’automobiles. Dans mon cas, c’était SIMCA à Poissy. S’en suivit, deux ans plus tard, mon embauche à Renault-Flins.

Au cours de ces années, je me mariai avec une jeune femme de mon pays. Nous eûmes ensemble trois filles.

Mais malgré la vie paisible que j’avais, j’étais rempli de « nostalgie marocaine ». C’est alors que je pris la décision de retourner au Maroc pour travailler dans le transport. Je fus obligé de laisser la famille en France à cause de la scolarité de mes enfants. Cet emploi me permettait de faire la navette entre le Maroc et la France et de voir ma femme et mes enfants quatre fois par mois. Hélas, contrairement à ce que j’avais envisagé, l’intégration au Maroc fut quasiment impossible : là-bas, j’étais considéré comme un Français.

De retour en France, je décidai de retravailler dans le transport urbain. J’ai beaucoup de chance car après deux ans de travail assidu et de formations, je fus promu à une place de responsable comme contrôleur-receveur dans une compagnie de bus. »

2) Le regroupement des étrangers dans un quartier

Une élève de 2de.

« [...] D’après un sondage effectué en 1999 par la mairie de Mantes, 60 % de la population est d’origine étrangère, seulement 40 % sont des Français. 40 % des étrangers vivent dans des HLM et seulement 20 % de la population étrangère habite dans des pavillons.

On remarque dans cette ville le regroupement des étrangers (quelque soit l’origine) dans des quartiers dits défavorisés ainsi que le regroupement de personnes de ce pays dans le centre-ville ou des résidences à proximité du centre-ville. Un étranger qui vient habiter dans une résidence aura beaucoup plus de mal à s’intégrer que s’il vient dans un quartier où vivent des personnes de même origine que lui. En effet les étrangers sont mal vus et considérés comme des envahisseurs.

Dans cette ville on a empêché l’intégration des étrangers. En effet dans les quartiers regroupant le plus d’étrangers on a créé la marie, la piscine, des gymnases ainsi que tout ce dont ils ont besoin. On peut penser que c’est pour les intégrer dans la société mais en fait on les a coupé du monde et on les empêche de rencontrer d’autres personnes en mettant tout à proximité. Ils se retrouvent entre eux et ne peuvent pas faire d’autres connaissances.

Cependant ces retrouvailles permettent aux étrangers qui viennent d’arriver de se sentir comme chez eux et de profiter du métissage culturel de cette ville et permet également de découvrir d’autres des coutumes différentes (d’autres immigrés).

L’intégration est donc à la fois facile et difficile dans cette magnifique ville ; tout dépend de l’origine et de l’endroit où l’on se rend. [...] »

3) Témoignage d’un jeune homme en réinsertion

Interview résumé et rédigé par Aïcha.

« Je m’appelle Mourad. Je suis de nationalité française, d’origine algérienne. Mon histoire n’est pas très différente de celles d’autres jeunes des cités qui ont mal tourné.

Toute mon enfance, je l’ai passé dans mon quartier, rempli de « mecs » qui "tenaient les murs des immeubles", la tête dans le brouillard et les doigts crispés sur un joint qu’il fallait faire tourner. Pas d’argent, mais dans cette société où le paraître est plus important que l’intérieur de l’être, il fallait "assurer" pour s’acheter les dernières fringues à la mode. Pour cela, j’avais recours à ce qui "se faisait de mieux" : voler. Au début c’était du vol à l’étalage, mais cela ne me suffisait pas. Alors je suis passé au stade supérieur : le vol à la tire et pour terminer les vols de voiture. Mais cela n’a pas pardonné : à dix-huit ans j’ai fini en prison avec un an ferme pour récidive. Là-bas c’était l’enfer ; impossible de fermer l’oeil la nuit si on ne voulait pas avoir de graves ennuis. C’est la lecture du Coran qui m’a sauvé et qui m’a permis de tenir. Je suis devenu très croyant.

Quand heureusement j’en suis sorti, j’étais cassé. Je n’avais que deux alternatives : soit continuer dans ce chemin et détruire ma vie, soit me prendre en main. Grâce à un ami, j’ai trouvé un emploi comme agent de médiation à Poissy. Ce métier consiste à sensibiliser les jeunes aux problèmes qu’ils rencontrent souvent dans les cités. Je suis un peu leur grand frère. Cela me permet de gagner 6500 F et de mieux réaliser les erreurs de ma jeunesse. A côté, j’ai recommencé des études. »

4) Sur le chemin du progrès

Texte rédigé par une autre élève (extraits)

« [...] Certains arrivent à s’intégrer facilement, d’autres pas. L’intégration est dure pour les étrangers car ils rencontrent beaucoup de problèmes. Alors ils se regroupent et forment une communauté dans laquelle il se sentent bien et n’acceptent pas que les autres viennent détruire cet équilibre. C’est le cas du Val Fourré dont la majorité des habitants est d’origine maghrébine.

J’ai interrogé des personnes habitant au Val Fourré d’origine non-maghrébine. La plupart y habitent depuis plusieurs années et disent avoir été très mal accueillies. A leur arrivée, leurs voitures ont été cassées, brûlées ou encore leurs boîtes aux lettres détruites. Nous aussi nous avons eu ces problèmes à notre arrivée. Nous avons même été volés.

Le Val Fourré a la réputation d’être un quartier dangereux. Certaines des personnes que j’ai interrogées sont d’accord avec cela. Elles pensent que la violence a empiré.

Les autres au contraire pensent que la situation s’est amélioré. Je dois avouer que je suis d’accord avec elles. Cela fait cinq ans que je vis au Val Fourré. Il n’était pas comme aujourd’hui il y a cinq ans. Il y avait beaucoup d’émeutes. Mais à présent c’est tranquille et des travaux sont engagés.

Je trouve que le mot "dangereux" n’est plus approprié pour ce quartier car il est sur le chemin du progrès. [...] »

5) Interdit aux chiens et aux femmes !

S, 2de, a travaillé en éducation civique sur l’intégration des femmes dans la société. Elle raconte un épisode de ses vacances au Maroc.

« Un jour à l’entrée d’un cimetière, j’ai vu un panneau "interdit aux femmes". C’était la première fois. Jusque-là je savais que l’entrée des cimetières était seulement interdite aux animaux. Il est probable, d’ailleurs, que les panneaux d’interdiction ne concernent que les animaux et les femmes. Elles n’ont donc pas le droit d’entrer dans un cimetière que lorsqu’elles sont mortes. Serait-ce que la mort leur permet enfin d’être libres ? »

6) Souvenirs personnels 

Abdel se déclarait "sympathisant" du Hamas palestinien (mais ils sont modérés m’sieur...) tout en étant passionné par l’hindouisme : drôle de musulman new age. Ce commerçant-né faisait du commerce de voitures entre l’Allemagne et la France, il rêvait aussi de fonder son auto-école ou de se lancer dans Internet. Il avait interviewé pour une radio locale je ne sais quel homme politique.

Je pense à cette élève voilée qui montra de l’enthousiasme pour la Révolution française et qui condamnait la tyrannie de Robespierre et de Napoléon. Un an après, elle condamne l’antisémitisme. Quand j’ai fais cours sur le christianisme, les élèves chrétiens et musulmans discutaient en comparant le rôle de Jésus et celui du Prophète. Ah bon, vous aussi dans le Coran vous parlez de Jésus ? Mais on ne le présente pas comme vous répond une élève voilée à l’iranienne. Quelques semaines après, cette élève me dit qu’elle ne veut plus venir au lycée : je suis dégoûtée par les profs laïcs, explique-t-elle. Soit-disant elle suivra des cours par correspondance. Deux ans après j’apprends qu’elle va se fiancer ou se marier.

Les « intégristes » ? Ce sont des jeunes qui ont été cassés en prison, me dit-on. En sortant ils sont devenus un peu « grenouilles de bénitier », si je peux dire. Ils surveillent les jeunes de cinq-six ans : il est tard rentre chez toi, va à la mosquée, arrête de traîner avec les garçons, ton attitude vestimentaire est trop légère.

Il y a la mosquée mais aussi des salles de prières dans les immeubles. A la mosquée on organise des cours d’instruction religieuse et du rattrapage scolaire. Mais un ancien élève me dit que les traditionalistes sont très minoritaires et que les gens préfèrent prier chez eux. Il ne faut pas confondre islamique et islamiste, m’expliquent les élèves.

Il paraît qu’il y a une recrudescence de vols et d’incendie de voiture. Les petits jeunes ont désormais quatorze-quinze ans, ce qui les rend moins contrôlables. Il y a un petit papy, un hadj (qui a fait le pèlerinage), il n’a plus d’autorité sur eux maintenant, petit frère est devenu trop grand.

Ces jeunes éprouvent un sentiment de rejet vis-à-vis des policiers. Certains ont trop facilement tendance à se poser en victimes.

Il existe chez eux une forte entraide. 

En somme, c’est un quartier sympa ? Mais bien sûr M’sieur, c’est très convivial. Il y a une forte entraide entre voisins. Cela n’existe pas chez vous les Français. Quand la voisine a perdu son fils on s’est cotisé pour lui permettre de le faire enterrer au pays. Il faudrait que vous veniez voir le marché du samedi matin, il y a des commerçants de tous les pays. Et quand c’est la fête de l’Aïd, quelle joie. On en a marre qu’on parle de nous seulement quand il y a des problèmes.

Mais recevez-vous chez vous des Français d’origine ? Oui, mon frère reçoit ses copains.

Enfin, moi je ne suis pas d’accord, dit une autre, c’est quand même un peu un bocal.

Quelques semaines après ces discours optimistes, des incidents éclatent à nouveau (juin 2000). Voici ce que me racontent les élèves. Le jour du marché, des jeunes volent un camion rempli de chaussettes (sans doute au profit de caïds grossistes). Le camion heurte un lampadaire. La police leur court après sans les attraper. Elle se serait vengé (?) en arrêtant un groupe de jeunes (douze ans ?) qui jouaient au ballon. Les émeutes éclatent aussitôt. Les jeunes me racontent cela en riant, comme si c’était un jeu.

Il parait qu’il y a beaucoup de vols de voitures pour faire des rodéos ; au bout d’un moment la voiture est jetée dans la Seine.

Bilan

Dans les années 1950, après s’être relevée de ses ruines, Mantes avait de graves problèmes de logements. En 1954, la ville fait l’acquisition d’un terrain d’aviation. Les travaux débutent en 1962, le long de la RN et de la ligne de chemin de fer. Puis le nombre d’immigrés s’accroît. On construit des foyers SONACOTRA, les ouvriers de Renault-Flins et de Simca-Poissy s’installèrent dans des logements achetés par leurs entreprises. En 1974-1976, avec la politique de regroupement familial il faut des logements plus grands. Exode de nombreux Mantois qui se construisent des pavillons aux environs. Avec la crise, le taux de chômage au Val Fourré atteint des niveaux élevés.

Pour autant, le Val Fourré n’a rien à voir avec les ghettos américains. Les raisons ? Le mélange de populations diverses (Maghreb, Afrique noire, Asie, Turquie, Antilles...), la destruction de barres et de tours, la réhabilitation d’immeubles, le soutien aux associations sportives, de nombreuses installations sportives, culturelles et sociales, des commerces, l’existence de la mosquée, les bus pour aller au centre-ville, un train direct pour Paris, le nouveau complexe de cinémas, les Mac-Dos, le mixage social de mon lycée et la création d’emplois. En trois ans, la zone franche du Val-Fourré a créé 450 emplois nouveaux dans ce quartier qui n'en comptait jusqu'alors que 800 (pour 25 000 habitants).

La violence est beaucoup plus faible qu’en Amérique. Aux E.U., le taux d’homicide pour les 15-24 ans est quinze fois plus élevé qu’en France. De manière générale, le taux de violences contre les personnes est cinq fois plus élevé là-bas qu’ici.

Le quartier du Val Fourré se trouve sur la voie du renouveau mais les problèmes ne disparaîtront pas en quelques années : que faire lorsqu’une famille de six ou huit enfants a un père au chômage ? Rien d’étonnant dans ces conditions que 20 % des élèves de mon lycée demandent à bénéficier de l’aide sociale. Rien d’étonnant que les paysans des alentours se plaignent de voir pillés leurs champs de maïs ou leurs vergers... Mais ni la victimisation ni la diabolisation ne constituent pas des solutions. Il faudrait encourager les capacités d’initiatives et de dynamisme.

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