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lycée banlieue culture
26 février 2012

La pédagogie de Kerschensteiner

INSTITUT PÉDAGOGIQUE NATIONAL
29. rue d'Ulm. - PARIS (Ve)    
Histoire de la Pédagogie
1962


LA PÉDAGOGIE DE GEORGES KERSCHENSTEINER (1854-1932)

Né vingt-sept ans après la mort de Henri Pestalozzi, Georges Kerschensteiner fit siens ces principes éducatifs du grand pédagogue suisse. Il les étudia, les mit en pratique, en observa les conséquences, ce qui lui permit de les adapter à un temps plus moderne, tout en les complétant par l'élude d'autres pédagogues chez lesquels il découvrit un souci qui rejoignait le sien. Au théoricien s'ajoute, dans son cas, un homme qui a expérimenté la pédagogie à tous les échelons de l'enseignement : il fut instituteur, professeur de gymnase, conseiller scolaire de la ville de Munich, enfin commissaire royal des écoles bavaroises.

La réforme qu'il fut chargé de promouvoir dans les écoles primaires de Bavière était depuis longtemps réclamée par le corps enseignent : elle portait sur une réduction des programmes. Kerschensteiner ne s'en tint pas là : pour lui - et il reprenait en cela une idée chère à Pestalozzi - tout enseignement doit être adapté au niveau intellectuel de l'élève ; il n'est donc d'éducation féconde que par une sorte d'adéquation d'un esprit réceptif et de biens culturels. Alléger les matières scolaires ne peul suffire si l'on ne redistribue par les centres d'intérêt.

Kerschensteiner s'y employa en introduisant dans les écoles de perfectionnement le travail manuel, non point comme une matière supplémentaire, mais en tant que point de départ de l'éducation. C'était, parlant de la pratique pour remonter à la théorie, remettre les bœufs devant la charrue.

L'école active est née de celle expérience. Ses principes peuvent se résumer ainsi: réduire au minimum le programme pour l'enseigner à fond : partir du besoin spontané de l'enfant et s'adapter à ses intérêts ; compléter le jeu par le travail éducatif. Travaillant ensemble, les élèves coopèrent et créent eux-mêmes les conditions d'une discipline collective, qui devient une sorte de self government.

Pour réaliser selon ses principes la réforme scolaire et pour justifier ses conceptions pédagogiques, Kerschensteiner a été amené à rédiger une Théorie de l'éducation. On y trouve d'abord une réaction contre la méthode courante de l'enseignement en Europe, basée sur la croyance qu'une même chose peut être apprise de la même manière par tout un groupe. Pour Kerschensteiner, c'est l'individualité qui est l'objet d'éducation. Or l'individualité est « la manière particulière et unique de chaque être humain d'agir et de réagir sur le milieu, selon sa détermination héréditaire et selon la forme de son développement vital ».

Il y a plusieurs raisons pour qu'une conscience humaine soit différente d'une autre conscience. Et ce n'est pas seulement sur le plan de la fonction rationnelle que se situent ces différences, mais aussi dans les fonctions végétatives, animales et émotives. On peut dire que le petit enfant connait le monde dans l'exercice des fonctions végétatives et animales. Les valeurs de connaissance qu'il en retire sont des valeurs sensibles, bien antérieures aux valeurs rationnelles, mais qui cependant dépassent l'être purement physique. Kerschensteiner appelle psychique l’être de l'enfant à ce stade. Peu à peu, la conscience se spiritualiste, et ce développement ne dépend pas seulement de la nature environnante, mais encore des choses et des personnes qui sont des produits de la culture et que pour cette raison, on appellera des biens culturels.

Ces derniers ne sont pas accessibles à l'être purement animal. Mais l'homme utilise naturellement et selon son individualité les valeurs spirituelles de son environnement. Elles sont variées et parfois contradictoires, qu’il s'agisse des valeurs personnelles ou des valeurs traditionnelles et collectives, des valeurs objectives ou des valeurs subjectives... Le rôle de la culture ne serait-il pas justement de trouver une unité et de créer même une harmonie entre ces valeurs ? Le résultat en est l'apparition de la personnalité qui étant le bien le plus haut vers lequel doit tendre tout homme, est aussi le but même de l'éducation. D'où cette définition : « La culture est un sens des valeurs éveillé par les biens culturels, organisé individuellement et qui, en étendue comme en profondeur, n'est limité que par la nature de l'individu. »

La culture qu'a en vue Kerschensteiner est la culture générale et non pas seulement la culture formelle qui pourtant fut considérée, dans l'Antiquité et jusqu'au XXe siècle, comme la culture tout court. Or, avant pour objet le développement de la faculté de penser et de comprendre, cette culture laisse de côté l'éducation de la volonté et du sentiment. Pour dire vrai, les pédagogues grecs et romains et quelques-uns des modernes éducateurs, ne négligeaient pas systématiquement chez leurs disciples sentiment et volonté, mais ils pensaient que leur développement découlait naturellement des exemples fournis par les belles¬-lettres et par l'élude de l'histoire.

La culture générale correspond à un système de valeurs en rapport avec les biens cultuels et elle exige une certaine capacité intellectuelle. A partir de quoi, l'homme peut prétendre à la formation personnelle. Pour l'atteindre, il utilisera des voies individuelles, difficilement comparables et codifiables, ce qui peut paraitre contradictoire avec le terme même de culture générale. En fait, les deux points de vue se rejoignent en ce sens que la notion de culture est déterminée autant par les particularités individuelles du sujet que par l'objet, ou ensemble des biens culturels (1).

A partir de ces constatations, Kerschensteiner a élaboré un système éducatif délibérément axé sur ce qu'il nomme les intérêts. Il distingue l'intérêt immédiat - qui va aux objets considérés pour eux-mêmes sans établir de relation entre eux et une fin quelconque - et l'intérêt médiat — qui porte sur un objet pris comme moyen pour obtenir autre chose. Le tout petit enfant est riche en intérêts immédiats qui sont pour lui un ensemble d'activités dans lesquelles il trouve sa satisfaction en dehors de toute considération des effets et des buts. Peu à peu, l'activité mise au service de ces besoins s'associe en lui à une représentation du but de cette activité. Les objets cessent de n'être que des buts et deviennent des moyens.

Cette prise de conscience de la séparation entre buts et moyens est pour Kerschensteiner la première étape dans la formation morale et intellectuelle. Car c'est à partir de ce stade que le bien culturel peut être considéré par l'enfant comme un moyen qui trouve un écho dans sa conscience individuelle. En plus de sa valeur en tant que moyen, le bien culturel apparaît comme ayant une valeur propre. C'est ici la deuxième étape éducative. La troisième sera la conscience du devoir.
Des intérêts immédiats aux intérêts médiats, la conscience de l'enfant parvient ainsi à l’identification de l'objet et des tendances motrices du moi. A l'intérêt purement attractif succède l'intérêt moteur, essentiel dans l'éducation. « Toute connaissance acquise sans participation d'intérêts moteurs est une connaissance de mémoire dépourvue de véritable valeur pédagogique. » Kerschensteiner énumère quatre degrés de développement des intérêts. Le premier couvre la période de la première enfance (un à deux ans), durant laquelle l'activité de l'enfant est impulsive et ne tend, ainsi qu'on l'a dit, qu’à la satisfaction d'un besoin immédiat et instinctif. Le deuxième degré correspond à l’âge du jeu (trois à sept ans). Ce n'est plus l'activité en tant que telle qui prédomine, mais la volonté, en même temps qu'a lieu le passage du jeu enfantin au jeu réglé et au travail. Le troisième degré correspond à la période des intérêts égocentriques du travail (huit à quatorze ans). L'activité tend à des réalisations pratiques : services rendus dans la famille, ou dans la rue, ou à l'école : confection d'objets, etc. La réflexion porte sur les rapports entre les fins et les moyens : mais les intérêts demeurent essentiellement liés aux activités concrètes, de préférence manuelles. Le quatrième et dernier degré (de l'adolescence à la maturité) est celui de l'ébauche de la personnalité. Par la conscience de sa valeur propre, l'être humain tend de plus en plus à s'imposer au monde. Il commence par s'opposer aux coutumes de l'entourage. C'est la période de séparation : la formation hétéronome cède la place à la formation autonome.

Cette analyse faite, il reste à étudier le fonctionnement des institutions pédagogiques. Pour Kerschensteiner. Tout établissement scolaire doit être considéré comme une école professionnelle, car il ne s'agit pas de former seulement l'être spirituel, mais aussi de pourvoir à la conservation de la communauté.

Les écoles de culture générale ne doivent pas oublier cela et d'ailleurs, ne forment-elles pas des travailleurs intellectuels, comme les écoles professionnelles proprement dites forment des travailleurs manuels ? Kerschensteiner s'élève contre la culture pour la culture gratuite, asociale selon lui. Mais il veut en même temps que la formation des ouvriers les plus humbles contribue à élever leur esprit. Autrement dit, il préconise une éducation totale.

Rien d'étonnant s'il se montre exigeant à l'égard des maîtres. Il distingue plusieurs types  d’éducateurs : les anxieux – qui n’accordent à l'élève aucune initiative parce qu'ils se méfient de lui ; les insouciants qui laissent faire ; les équilibrés -qui tiennent le juste milieu entre les anxieux el les insouciants : enfin les avisés c'est-à-dire ceux qui, avec tact et compréhension, se donnent cœur et âme à leur fonction enseignante.

Ce sont ces derniers à qui Kerschensteiner donne le titre de vrais éducateurs. Ils entendent l'acte pédagogique comme un acte de sympathie et comme un acte religieux. L'acte pédagogique en effet, n'est pas une technique mais une branche spéciale des sciences de l'esprit. La pensée et l'action techniques, à mesure qu'elles se développent, se laissent de plus en plus dominer par la loi d'économie ; au contraire, la pensée et l'action pédagogiques ont leur loi dans l'amour.

lci, Kerschensteiner se rapproche de la philosophie socratique : les qualités requises pour l'éducateur reposent à ses veux sur un certain amour de l'enfant, sur une grande finesse de sentiment et un duo sûr d'observation. De plus le pédagogue doit croire aux valeurs intemporelles, à la victoire de la raison sur les sens, à l’importance du don de soi pour le développement culturel et moral de chaque homme et de l'humanité.

Aux éducateurs de l'école active, Kerschensteiner donne un certain nombre de conseils.  «  Ne déterminer jamais votre action pédagogique seulement d'après un aspect particulier, mais toujours selon la constitution globale de la personnalité en devenir de l'élève. »

« N'oubliez pas, précise-t-il, que la meilleure façon de préparer un enfant à son avenir est de travailler à la satisfaction de ses besoins présents. Introduisez le plus tôt possible l'élève au sein des communautés de valeurs en pourvoyant au développement de son sens de l'autorité. Laissez-le déterminer lui-même sa conduite. »

Et voici le principe de base de l'école active : « Veillez à ce que, dans toute activité vous confiez à la libre initiative de l'enfant, compte-tenu de sa structure spirituelle, non seulement la conduite de l'activité elle-même, mais aussi l'œuvre terminée soient soumises à l'examen attentif de l'élève lui-même, pour autant que la forme et la matière du travail personnel le permettent. »

Quant à la fin assignée par Kerschensteiner à l'éducation, elle est sociale : « Prenez soin,
recommande-t-il, que votre élève avant acquis une autonomie morale personnelle, contribue par son travail autonome au progrès moral de la communauté. » L'action pédagogique prépare à la profession et à la vocation sociale. La préparation  « professionnelle » est autre chose qu'une formation en vue d'une activité déterminée rendue nécessaires pour la conservation de la vie physique : elle doit rendre l'individu capable de s’objectiver dans une œuvre ; alors seulement le travail ennoblit l’homme. La vocation sociale exige de chacun qu'il ne travaille pas seulement pour son propre être physique et moral, mais qu'il ait sans cesse présent à l'esprit l’intérêt de la communauté.

Ce souci, relativement nouveau, d'une contribution au progrès de la collectivité Kerschensteiner a su en montrer l’importance sans minimiser les difficultés de sa réalisation. D'autres, après lui, s'en inspireront comme John Dewey, comme Maria Montessori et l'école active lui doit, presque autant qu'à Henri Pestalozzi, moins la découverte de formules inédites que l'élan d'une part, et, d'autre part, une analyse et une expérimentation magistrales des principes qui président encore à son fonctionnement.


BIBLIOGRAPHIE

OUVRAGES PUBLIES SUR KERSCHENSTEINER

- F. BERTRAND : L'œuvre scolaire du docteur Kerschensteiner à Munich (thèse). Bordeaux, 1914.
- Elisabeth HUGUENIN : Education et culture d'après Kerschensteiner. (Flammarion), 1933.
- Simon-Jôhannes AGUSTSSON : La doctrine d'éducation de Georg Kerschensteiner (thèse, chez L. Rodstein). Paris 1936.
- Raymond SAVIOZ : Georges Kerschensteiner, in Les grands pédagogues, ouvrage collectif sous la direction de Jean Chateau (P.U.F.. 1956).


OUVRAGES DE GEORGES KERSCHENSTEINER

- Les problèmes essentiels de l'organisation scolaire (1907)
- La notion de l'éducation civique (1909).
- Ecoles de perfectionnement pour garçons et filles (1912).
- La notion et l'éducation du caractère (1912).
- Nature et valeur de l'enseignement des sciences naturelles (1913).
- Education scolaire allemande pendant la guerre et pendant la paix (1916).
- Le processus éducatif (1917).
- L'âme de l'éducateur et le problème de l'école des maîtres (1921).
- Autorité et liberté comme principes éducatifs (1924).
- Théorie de l'éducation (1926).

N.B. -- Aucun de ces ouvrages n'est traduit en français.

(1) Cf, Raymond Savioz  et. S.-J. Agustsson (voir bibliographie).

Novembre 1962
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