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lycée banlieue culture
4 novembre 2011

Jaurès et la religion

Pour prendre ses distances avec une laïcité excessive et dogmatique qui fait des dégâts dans les collèges et lycées.

Pour comprendre nos élèves de banlieues « sensibles » ( = populaires).

Pour mieux comprendre la force de l’islamisme dans les pays arabes délivrés de leurs dictatures « modernistes ».

Lisons ce texte de Jean Jaurès, fondateur du Parti Socialiste, assassiné en 1914.

 

Jean Jaurès, Histoire socialiste de la Révolution française,

tome I (2)  La Constituante, seconde partie, Messidor Editions sociales, 1969.

 

Page 203

 

D’ailleurs, l’immense majorité du peuple, en 1789 et 1790, n’aurait pas souffert que l’Etat, rompant tout lien avec l’Eglise, proclamât que la religion était simplement une affaire privée. Il y a, dans l’ordre religieux, un abîme entre la classe ouvrière d’aujourd’hui dont une partie est délibérément incroyante, et le peuple de 1789. […]

Le peuple de 1789 était habitué, par les siècles, à considérer qu’il n’y avait pas de vie publique possible sans monarchie et sans religion. Et il ne dépendait pas de la Constituante de défaire en une minute l’œuvre séculaire de servitude et de passivité. […]

Il faudra des épreuves énormes, la lutte sournoise et violente du clergé contre la Révolution, sa complicité évidente avec les ennemis de la liberté et de la nation, ses crimes de Vendée, ses appels fanatiques à la guerre civile pour déprendre le peuple révolutionnaire du clergé d’abord, du christianisme même, ensuite. Et encore, l’arrachement ne fut-il que superficiel. Quiconque ne tient pas compte de cela est incapable de comprendre l’histoire, incapable aussi de juger à leur mesure ces grands révolutionnaires bourgeois qui arrivèrent en quatre années, et en passant par la Constitution civile, à un commencement de déchristianisation de cette France si automatiquement croyante depuis des siècles.

Qu’on se figure bien qu’en 1789 et 1790, pour presque tout le peuple de France, le catholicisme était si étroitement mêlé à la vie nationale et privée qu’il en semblait inséparable. Qu’on se figure bien que le roi, jugé par eux nécessaire, avait été sacré par l’Eglise ; que toute leur vie personnelle et domestique reposait sur une base catholique […].

Ou bien le peuple aurait interprété cette rupture officielle de l’Etat avec l’Eglise comme une déclaration de guerre à la religion elle-même, et dans l’état des esprits, avec les habitudes mentales de l’immense majorité des paysans et des ouvriers de l’époque, c’était une arme terrible aux mains des agents de la contre-révolution. […]

Et, quand la force de la religion catholique pesait à ce point sur l’esprit du peuple, on s’étonne et on s’indigne que la révolution ne se soit pas heurtée d’emblée, jusqu’à en mourir, à l’immense préjugé chrétien du pays. […]

Ah ! je comprends très bien ce que les premiers ménagements forcés de la révolution pour l’Eglise et le christianisme ont de fâcheux et même de choquant. […]

Tous nous avons hâte que la Révolution puisse dire : il n’y a rien de commun entre le dogme et moi, et la seule révélation que j’accepte, c’est la lumière de la science et de la raison. Nous avons hâte que l’esprit humain puisse affirmer sans réticence sa confiance superbe en lui-même, et son dégoût pour la vieille superstition comme pour les compromis qui la maintiennent. […]

Ainsi les Constituants espéraient que la pure raison se dégagerait peu à peu de l’hétéroclite composé de christianisme et de révolution qui, en 1789, formait le fond de la conscience nationale. […]

Le peuple avait été tenu dans l’ignorance et dans la dépendance chrétienne aussi bien par le dédain des philosophes que par l’esprit de domination de l’Eglise : et même en entrant en révolution, il ne pouvait accéder d’emblée à la pure philosophie de la science et de la raison. Cette première période révolutionnaire est donc  nécessairement, dans l’ordre religieux, une période de compromis. […]

Je suis convaincu que cette Constitution civile, si dédaignée par quelques esprits hautains, est pour beaucoup dans la liberté intellectuelle du peuple d’aujourd’hui à l’égard des choses religieuses. Elle a été une première accommodation laïque de la religion qui a habitué le peuple aux pleines audaces de la pensée libre. […]

Encore une fois la dramatique rencontre du christianisme et de la Révolution ne pouvait être reculée. Le seul devoir de la Constituante était de ménager cette rencontre de façon à froisser le moins possible les préjugés de la masse qui se fût tournée contre la révolution et de façon aussi à donner au peuple, à l’égard des choses religieuses, des habitudes nouvelles de liberté. C’est à quoi la Constitution civile a pourvu pour autant qu’il était possible. En fait, la révolution trouva des prêtres assermentés pour toutes les paroisses, des évêques assermentés pour tous les diocèses : elle put ainsi diviser l’Eglise contre elle-même ; elle prévint un soulèvement unanime de fanatisme religieux où elle aurait sombré et elle se donna le temps d’être, pour l’essentiel de son œuvre, inattaquable et irrévocable.

 

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