La pédagogie nouvelle en URSS
Charles Bettelheim, Les luttes de classes en URSS, 2me période 1923-1930, Seuil/Maspéro 1977.
Page 169. L’école soviétique et l’idéologie scolaire
Dans les premières années du pouvoir soviétique, cette école est l’objet de projets de transformations révolutionnaires ambitieux1. Cependant, faute de moyens, et aussi en raison de la résistance des instituteurs, ces projets n'ont pratiquement pas d'impact sur la réalité.
En 1923, deux ans après le début de la NEP, ces projets - jamais matérialisés, sauf sous forme d'expériences-pilotes - sont écartés. Comme l'écrit Kalachnikov : « Le romantisme des premières années (est) canalisé dans le lit des réalisations pratiques2 ».
En d’autres termes, les exigences du rétablissement de l’économie et celles de la révolution démocratique bourgeoise dans les campagnes l’emportent. Si, dans les villes, des expériences « réformistes » se poursuivent dans les jardins d'enfants, les écoles primaires et secondaires3,ce qui prédomine dans les campagnes - sous la pression des paysans riches et moyens et d'une partie des paysans pauvres - c'est le retour à l’« école sérieuse », à une école « de promotion sociale basée sur la sélection et l'idéologie de la compétition (notes, examens)... [ce] qui aboutit à la restauration pédagogique de l'école en tant que reproduisant l'idéologie bourgeoise... 4 ». Cette école est d'ailleurs celle qui est réclamée par les « nepmen » et par la plupart des cadres des appareils économiques et administratifs : c'est également celle qui est conforme à l'idéologie de la masse des instituteurs.
Dans la reproduction des idées conservatrices qui dominent le village népien, l'école qui reprend vies joue son rôle à côté de la famille, de l’église, du mir et du skhod, voire des organisations économiques pénétrées d'éléments porteurs de l'idéologie bourgeoise.
1. Cf., sur ce point, le tome 1 de cet ouvrage, p. 148-149.
2. Cité par D. Lindenberg, L’internationale communiste et l’Ecole de classe, Paris, Maspero, 1972, p. 293.
3. On n'hésite pas alors à emprunter des recettes pédagogiques à Dewey, Decroly, Kerschesteiner, qui ont à cette époque leurs disciples soviétiques, lesquels s'inspirent aussi des expériences social-démocrates allemandes (ibid., p. 295).
4. Ibid., p. 295.
5. En 1928 et 1929, en liaison avec l’offensive anti-koulak et le mot d'ordre de « révolution culturelle » qui est alors lancé, la forme népienne de l'école est vivement critiquée. Des résolutions sont même adoptées qui la condamnent. Mais ces condamnations restent lettre morte : dès 1930-1931, les taches de la « construction économique » l'emportent, et même les expériences pédagogiques ne tardent pas à être abandonnées. On revient aux formes scolaires bourgeoises les plus traditionnelles.