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lycée banlieue culture
25 octobre 2009

Pierre Chaunu

Je ne partage pas es engagements de Chaunu : son patriotisme, son rapport au christianisme, sa crainte de la dénatalité etc. Mais je tenais à rendre hommage à ce grand historien.

Dans ce livre j’ai lu de beaux paragraphes sur les Gallo-Romains et l’arrivée des Francs ; ils  m’ont beaucoup inspiré lorsque je préparais mes cours de 5me. Car le prof d’histoire ne peut pas se contenter de copier les manuels scolaires et faire du lèche-botte aux instructions du ministère et des inspecteurs : il doit penser par lui-même et puiser directement aux meilleures sources.

 

Pierre CHAUNU, L’obscure mémoire de la France, Perrin 1988


 

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AVANT-PROPOS 

 

 

 

 

Page 11

 

 

[…] J'aime passionnément la France. Ce sont là des pulsions qui ne se commandent pas. Je n'éprouve pas le besoin de demander pardon. Sans la bataille de Verdun, je ne serais pas. De Verdun aux portes de laquelle je suis né, quand la cathédrale écrasée dressait encore vers le ciel ses tours ébréchées et calcinées, comme la forêt dont les grands arbres morts sont présents à ma mémoire. Sans la bataille de Verdun, mon père, issu de la France d'Oc granitique du sud, du seigle et de la châtaigne, n'aurait jamais connu ma mère, qui ne m'a pas survécu, au pied de la côte de Meuse, sur ces terres qu'il était venu défendre, terres de blé et côte de vigne. Et ma prime enfance a oscillé entre Metz et Verdun, dont chaque pierre, chaque mur ébréché, chaque arbre calciné rappelaient ces combats de géants auxquels les anciens autour de moi avaient participé. A tel point que Vercingétorix, César – que je n'aimais guère – et les Germains que nous redoutions, dont l'histoire me fut contée à l'école, semblaient faire corps avec le sol que nous foulions, ce sol dont l'ossuaire de Douaumont (j’entends, à quatre ans, en 1927, les cloches de l’inauguration) et les immenses cimetières militaires, aux croix blanches et noires, et les stèles des tirailleurs qui m'entourent me disent, oh combien ! comme l'écrit le sous-lieutenant Jean Daguillon sur son carnet, le 20 juin 1915 [...] : « Le sol est fait de nos morts. » Oui, le sol est fait de ces 15 milliards de corps, informés par l'esprit, qui continue de les habiter, que j'ai comptés peut-être, un peu largement sous nos pieds, un sur vingt, 5 % de ceux qui ont vécu sur terre depuis le premier galet intentionnellement éclaté, il y a près de 2 millions d'années, dans la vallée de l’Allier, depuis le premier mort pleuré, sachant la mort, espérant un au-delà et intentionnellement inhumé, il y a 45 000 ans, au sud de Tulle, à La Chapelle-aux-Saints et près de Condat et d'Uzerche, dans les gneiss et les granits du Limousin dont sont issus ceux de ma souche paternelle, comme ceux de ma souche maternelle viennent « pétris du limon de la terre » des calcaires et des marnes lourdes et des argiles collantes des côtes de Meuse et du rebord de la Woëvre, par où ont débouché, éclaireurs d'une longue théorie, il y a 7 à 8 000 ans, ces agriculteurs danubiens, qui nous ont appris à défricher et cultiver les plaques de loess avec une sorte de charrue dont la forme (sinon la matière) ne différait pas tellement de celles que j'ai touchées dans mon enfance.

J'ai dit ailleurs comment je suis devenu historien. Parce que fils de la morte et, par procuration, de la guerre, je ressens plus que quiconque la hantise du commencement. La mort, bien évidemment, avant de la percevoir comme la gardienne redoutable de la Vallée de l'ombre qu'il nous faudra traverser quelque jour, je l'ai devinée, avant, dans l’épais mystère du commencement. Enfant, orphelin, j’ai senti existentiellement l'horreur de l'irréparable absence, l’effroi du vide qu'il fallait combler, j’étais donc prêt à recueillir chaque bribe de l’histoire qui me serait contée, au point de ressentir dans ma chair l’humiliation des Gaulois vaincus, d’étouffer sous la menace des invasions à venir, je me suis donc identifié avec tous les moments de cette histoire que je finissais par confondre avec ma propre histoire.

Je vous devais cette confession. […]

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