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lycée banlieue culture
5 septembre 2009

Tolstoï et l'histoire-géo

Œuvres complètes du comte Léon Tolstoï. Tome XIII.

Articles pédagogiques.

La revue « Iasnaïa-Poliana » 1862. L’école de Iasnaïa-Poliana en novembre et décembre 1862.

Traduction de J.W. Bienstock

P.V. Stock, éditeur, Paris 1905.


Tolstoï était un romancier, conteur  et auteur dramatique russe (1828-1910). Il fonda une école populaire dans son village natal d‘ Iasnaïa-Poliana.

Tolstoï  montre ici un grand talent pédagogique. Il s’interroge, se remet en cause, expérimente, modifie sa manière de faire. Il a de l’esprit critique. La description de son école et de sa classe est vivante, remplie d’anecdotes et de réflexions.

 

Page 438.

J’ai maintes fois entendu dire que pour l’enseignement de l’histoire, il ne faut pas la commencer par le commencement mais par la fin, c’est-à-dire non par l’histoire ancienne, mais par l’histoire contemporaine. Au fait, cette idée est tout à fait juste. Comment expliquer à un enfant les origines de l’Etat russe et l’y intéresser quand il ne sait pas ce que c’est que l’Etat russe, et en général, un Etat ?

 

Page 439.

D’après mes observations et l’expérience, le premier germe de l’intérêt historique apparaît avec la connaissance de l’histoire contemporaine, parfois grâce à la conscience d’y participer, grâce à l’intérêt politique, aux discussions, à la lecture des journaux.

 

Page 445.

Dans ces leçons, je ne donnais aux élèves aucune idée nouvelle tout en m’imaginant que je le faisais, et, c’était par mon influence morale seule que je forçais les élèves à répondre comme je le voulais.

[…] Mais après un répit de trois semaines pendant lesquelles je ne pus m’occuper à l’école, je me rendis compte que tout ce que j’avais fait auparavant n’était que peine perdue et erreur de ma part.

 

Page 446

J’étais convaincu de mon erreur, je me demandais seulement si ma faute était dans la mauvaise méthode ou dans l’enseignement en lui-même : jusqu’à une certaine période du développement général, il n’est peut-être pas possible, sans journaux ni voyages, d’éveiller chez l’enfant l’intérêt historique et géographique ?

[…] J’ai encore expérimenté autrement l’enseignement de l’histoire en commençant par l’histoire contemporaine, et ces expériences ont réussi.

 

Page 456.

J’en suis venu à cette conclusion, que non seulement il n’est pas nécessaire de connaître l’ennuyeuse histoire russe, mais que Cyrus, Alexandre de Macédoine, César, Luther aussi sont inutiles pour le développement de n’importe quel enfant. Tous les personnages et les évènements sont intéressants pour l’élève, non par leur importance dans l’histoire, mais par l’art qui enveloppe leur activité, par la légende artistique créée par l’historien, et, pour la plupart, par la tradition populaire. […]

En un mot, pour un enfant, en général, pour un élève qui n’a pas encore commencé à vivre, sans parler déjà de l’intérêt humain, l’intérêt historique n’existe pas : il n’y a que l’intérêt artistique. […]

Il faut personnifier les évènements historiques, comme le fait parfois la tradition, parfois la vie elle-même, parfois les grands penseurs et artistes. L’histoire ne plaît aux enfants que quand un sujet est artistique. L’intérêt historique n’existe pas et ne peut exister pour eux ; donc, il ne peut être d’histoire pour les enfants.

 

Page 458.

Quand on voulut contraindre Metrofanouchka d’apprendre la géographie, sa mère lui dit : « Pourquoi étudier tous les pays ? Le cocher t’emmènera où il faudra ». On n’a jamais rien dit de plus fort contre la géographie, et tous les savants du monde ne peuvent rien objecter à des arguments aussi indiscutables. Je parle tout à fait sérieusement. Pourquoi ai-je besoin de connaître où se trouve un fleuve ou la ville de Barcelone, quand, arrivé à l’âge de trente-trois ans, je n’ai pas eu besoin une seule fois de cette connaissance ?  Et je suppose que pour développer mes forces spirituelles, la description la plus pittoresque de Barcelone et de ses habitants n’est pas nécessaire. Pourquoi Siomka et Fedka ont-ils besoin de savoir des détails sur le canal de Marie et les communications par eau, alors qu’il est peu probable qu’ils y aillent jamais ? Et si Siomka avait besoin d’y aller, qu’il ait appris ou non, il connaitrait, en pratique, cette communication par eau. […]

Partout l’enseignement de l’histoire et de la géographie est mauvais. En vue des examens, on apprend par cœur les noms des montagnes, des villes, des fleuves, des rois, des empereurs.

 

Page 462.

Et vraiment, si l’on renonce à la vieille superstition, il n’est point terrible de penser que des hommes grandiront, qui n’auront point appris dans leur enfance qu’il y avait autrefois un Iaroslav, un Othon, et qu’il y a l’Estramadure, etc. On a bien cessé d’apprendre l’astrologie, la rhétorique, la poétique, on cesse d’étudier le latin, et l’humanité n’en devient pas plus sotte. De nouvelles sciences naissent,  les sciences naturelles commencent à se vulgariser, il faut que les vieilles sciences, pas les sciences, mais les feuilles des sciences tombent, parce qu’avec la poussée des nouvelles sciences elles deviennent caduques.

[…] Il ne faut pas chercher à dépenser en vain le temps et les forces de la jeune génération, en l’obligeant à apprendre l’histoire et la géographie, seulement parce qu’on nous les a enseignées. Jusqu’à l’Université, non seulement je ne vois pas la nécessité d’enseigner l’histoire et la géographie, mais je trouve cet enseignement très préjudiciable. Ce qu’il faut faire après, je l’ignore.

 

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