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lycée banlieue culture
8 juillet 2009

Le rire des lycéennes

le rire des lycÉennes

Peut-être, nous autres enseignants, avons-nous trop tendance à nous plaindre, alors que, comme beaucoup de parents le remarquent, nous exerçons un beau métier, un métier de culture, de contact avec la jeunesse, avec la stabilité de l’emploi (pour la plupart), des salaires qui pourraient être pires et de longues vacances.

Ce texte voudrait donc atténuer le poids des lamentations en présentant un éloge du léger, du futile et du plaisir d’enseigner.

Le badinage avec les lycéennes fut la joie de ma carrière (une trentaine d’années). On se séduit, l’on badine. On plaisante, on rit. Parfois elles me félicitent ou me grondent sur les couleurs de mes vêtements, mes nouvelles chaussures... Elles m’encouragent où m’admonestent lorsque je me fais couper les cheveux ou que j’enlève ma barbe. Bien sûr, nous eûmes des orages. Mais dans les souvenirs, les bons moments l’emportent. 

Je m’inquiète de cette beauté qui s’absente (Natacha... As-tu des nouvelles de Céline ?). Je m’amuse devant les fous rires et les délires inventifs de Priscilla et “Crapotte“. Avec Amélie nous jouons au ping-pong verbal. Une jeune Turque, quand elle me croise, fait le salut militaire en souriant. Une autre demoiselle sourit de loin et m’envoie son regard. Et encore un autre sourire des yeux. Et les lents battements de cils de Graziella...

Pendant un cours de seconde, soudain Sophie hurle de rire : Ah m’sieur, Paul de Tarse = Poil sur le Torse, ah ah. Cela dure ainsi quelques semaines et la classe travaille avec bonne humeur.

Et puis toi, Céline. Une larme sur ta joue. Pas facile, la vie. J’interviens et le sourire revient. Ces heures de discussions.

Ce matin, en cours d’éducation civique, la belle Sandra parlait en riant de ses produits de beauté, le mascara qui coule, le crayon pour les yeux qui coule aussi, le rouge à lèvres trop pâteux etc. Et si on en faisait un sujet de TPE ?

Il y a quelques années, en faisant passer l’oral du bac à des STG (technologie tertiaire), je les interrogeais sur la Guerre Froide. Mon dieu… j’étais un criminel… Quel intérêt ? J’avais honte. Pauvres jeunes filles bouleversées par le trac, au bord des larmes. J’interroge une lycéenne sur la population américaine. Elle ne sait rien. Mais rien du tout du-tout-du-tout. Bof. Je fais semblant de m’exaspérer (pas trop, il faut doser) et je lui pose une question facile, en ajoutant (soigner l’intonation de la voix) : mademoiselle si vous ne répondez pas à cette question, c’est bien simple, je me jette par la fenêtre ! Elle se met à rire, et la fille derrière qui prépare son intervention orale rit également. Ah qu’ils étaient beaux ces rires.

Il en est de même en collège. Un jour, on me confia une classe de sixième faible. Dilemme. Comment leur parler de la Bible hébraïque ? Comprendront-ils ? J’ai honte d’être prof. Alors je leur raconte que le Cantique des cantiques est un livre porno (Détourne de moi tes yeux car ils me troublent...). Les élèves écarquillent les yeux... Chouette ! De la pornographie ! Ils se ruèrent vers l’Ancien Testament, furent un peu déçus certes, mais une fois au moins dans leur vie ils avaient ouvert un livre.

Quelques semaines plus tard, je laisse complètement tomber le cours pour leur lire des contes et légendes de la Rome antique. Faut s’adapter.

A l’époque j’avais calculé que j’atteignais « l’orgasme pédagogique » une fois sur huit. C’est-à-dire qu’un cours sur huit, on atteignait, eux et moi, sans une ombre, la totale satisfaction qu’apporte la connaissance. J’avais l’impression que la classe était dans le creux de ma main. Non pas dans un esprit pervers de manipulation cynique et méchante, mais dans la joie du plaisir partagé de s’instruire.

Les lycéennes (collégiennes) font preuve d’un enthousiasme, d’une exubérance et d’un humour qui vont de pair avec leur réalisme et leurs bons résultats. Sans doute en est-il l’explication essentielle car le plaisir de s’instruire est un plaisir tout court.

La pédagogie de la séduction et de la bonne humeur permet aussi de se rebrancher sur le réel car les cours sont parfois (souvent ?) des discours artificiels, routiniers, formatés, irréels. Le prétendu individualisme des enseignants est un faux individualisme.

L’Education nationale souffre d’un déficit de subjectivité.

D’une certaine façon, rien de plus affreux qu’un prof qui prête ses cours à un autre, rien de plus dangereux que des profs qui préparent ensemble les cours du nouveau programme, rien de plus détestable qu’un prof qui pompe sur le manuel scolaire.

Je suis persuadé que, moyennant certaines précautions, on peut et on doit fusionner l’objectif et le subjectif. D’ailleurs, il faudrait inventer un mot. Le sub-ob ? Une objectivité subjective ? La sociologie est un sport de combat, disait dans le même état d’esprit Bourdieu. Avec le développement de la subjectivité, les esprits exulteront et cela développera l’autonomie vis-à-vis des dominations (patronat, responsables administratifs, télévision, publicité, idées reçues, intégrismes, violence de certains clergés laïcs).

« Nous pensons, quant à nous, qu’un rationalisme raisonnable doit savoir reconnaître ses limites et intégrer ses conditions d’exercice ». Georges Canguilhem, La connaissance de la vie, J. Vrin

Le cours devrait toujours être un déjeuner de soleil, un éclat de rire, une danse.

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