Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
lycée banlieue culture
16 décembre 2008

Charlotte Nordmann, Bourdieu / Rancière

img481

Charlotte Nordmann, Bourdieu / Rancière, la politique entre sociologie et philosophie,

éditions Amsterdam 2000

http://editions-amsterdam.blogspot.com/

http://www.editionsamsterdam.fr/Site/accueil.htm

CONCLUSION

[...] L’augmentation des moyens financiers investis à l'école, ainsi que le refus de son englobement dans la logique du marché, sont pour ainsi dire les seules revendications qui se font entendre dans les mouvements politiques récents, notamment dans les mouvements des enseignants. […]

Comment se fait-il que l'école stimule si peu la puissance d'agir et de penser ? […]

Sans même parler de "l'échec scolaire" pourquoi, au terme d'une scolarité  "normale" la plupart des élèves éprouvent-ils des difficultés presque insurmontables à parler en public et parviennent-ils à peine à construire un discours clair, argumenté et développé, notamment à l'écrit ? Pourquoi leur rapport à l'écriture est-il si souvent caractérisé par la défiance, pourquoi est-il, dans la majorité des cas, purement fonctionnel (on sait s'en servir lorsqu'il le faut, mais on n'aurait pas l'idée d'en faire un « usage personnel ») ? La paralysie induite par l'école n'est pas le seul fait des « mauvais élèves », elle est la règle, pas l'exception. […]

L'un des problèmes fondamentaux de l'enseignement scolaire est ainsi qu'il n'est pas réellement conçu pour ouvrir à autre chose, mais est essentiellement fermé.

Le souci louable de fournir à l'élève tout ce dont il a besoin, et de rendre accessible à tous un « bagage » essentiel, aboutit ironiquement à ce que la leçon du professeur, associée à celle du manuel, tende à apparaître comme le seul discours qu'il importe que l’élève fréquente. Les manuels scolaires fonctionnent en pratique comme des « anti-livres » qui font obstacle à la lecture.

Il faudrait commencer par refuser de s'accommoder, comme d'une donnée indépassable, de la paresse ou de l'incapacité supposées des élèves à effectuer par eux-mêmes des recherches, pour faire de l'acquisition d'un rapport autonome aux livres et au travail intellectuel en général la fin de l'apprentissage scolaire. […]

À constamment s'adapter à la « faiblesse » des élèves, on s'enferme dans un cercle de l'impuissance, qu'il n'est possible de briser qu'en postulant l'égalité intellectuelle de tous. Il faut entendre ce que nous dit Rancière de la nécessité de se confronter à de véritables difficultés pour avancer : ce n'est que contraint et forcé — par la pression d'une situation, d'un impératif, d'un problème — que l'on se met à penser.

Par ailleurs, la volonté de rendre l'enseignement assimilable par chacun, et notamment par ceux qui arrivent à l'école sans grand capital culturel […], s'est traduite en pratique par un mouvement de « simplification » des programmes qui n'est pas moins problématique. En s'efforçant de ne garder que « l’essentiel » on a écarté purement et simplement toute la dimension interprétative des connaissances transmises, tout ce qui peut faire débat, prêter à contestation. On prétend ainsi livrer les « bases », les éléments premiers, élémentaires, irrécusables des disciplines enseignées. On croit pouvoir transmettre abstraitement une « méthode » compte non tenu de problèmes réels. Le discours développé dans les manuels scolaires, comme celui de la plupart des professeurs, se présente comme un discours de vérité — une vérité bien particulière, puisqu'elle ne se dégage jamais de la recherche, de la controverse et de la polémique […].

Les professeurs en sont ainsi bien souvent réduits à enseigner des « contenus » qu'ils considèrent eux-mêmes comme presque entièrement dépourvus d'intérêt. Peut-on s'étonner, dans une telle situation, de ce que les élèves ne manifestent pas autant de curiosité qu'on le souhaiterait […] ? […] Pourquoi chercher à développer un discours propre, lorsque tout a déjà été dit, et bien mieux qu'on ne saurait le faire ? […]

La notation est plus propre à exprimer une hiérarchie que l'acquisition progressive de compétences. Elle met en branle une dynamique affective singulière, où jouent tour à tour le mépris, l'envie, la honte et la hauteur. Faisant fond simultanément sur le narcissisme et sur l'angoisse des élèves, elle suscite des inhibitions telles qu'il est presque risible que l'on puisse encore y voir un moyen efficace de les « motiver ».

Pour que l'enseignement scolaire puisse être réinvesti de signification, il faudrait qu'il soit réinscrit dans un champ intellectuel plus large, que s'établissent notamment des liens entre l'Ecole et d'autres lieux de production et de circulation des savoirs. Plus fondamentalement, sans doute n'est-ce que par la « politisation » de l'école que le rapport à l'intellectualité qui s'y construit pourrait changer. En l'état actuel des choses, l'école est de fait traversée par des luttes politiques, mais de façon insidieuse. Ce sont par exemple les programmes d'histoire qui exaltent, sur le mode de l'évidence, les vertus et le triomphe de la « démocratie libérale » (pourtant toujours moins démocratique et libérale) et décrivent son extension inéluctable à l'ensemble du monde : ce sont encore les directives enjoignant les professeurs de faire respecter « l'idéal de la laïcité », en refusant, sans violence, mais avec fermeté, et au nom de l'émancipation féminine, de faire cours aux élèves qui se présenteraient la tête couverte.

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité
Derniers commentaires
Archives
Publicité