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lycée banlieue culture
19 juin 2008

Consignes officielles aux correcteurs du bac

Consignes pour corriger le bac d’histoire-géo

Voici des instructions données aux correcteurs du bac histoire-géo :

1) Une réunion d’harmonisation entre les correcteurs. Compte-rendu personnel

2) Un document écrit du lycée centre de correction relatif à la notation.

1) Réunion d’harmonisation pour les correcteurs du bac histoire-géographie. 

Compte-rendu personnel

Professeur d’histoire-géographie, j’arrive dans un lycée chicos d’une commune BCBG. Belles pelouses, élégants parterres de fleurs, bâtiments vastes et spacieux, en bon état, élèves bien habillés. Quelle différence avec ma banlieue populaire.

Si j’étais muté, pourrais-je être à l’aise dans ce lycée bourge, après douze années de lycées prolétaires ?

Dans une immense pièce  se trouve une demie douzaine de collègues. Sur une table, du café et des biscuits. On va nous donner des conseils précis pour corriger les copies d’histoire-géographie au Bac.

Bonne idée. Il faut rompre avec l’individualisme aristocratique qui animait jadis les correcteurs. Chacun dans son coin utilisait ses critères personnels et se prenait pour Dieu sur terre. C’était l’anarchie féodale, le pouvoir absolu des seigneurs-profs. Je me souviens d'une réunion préparatoire à la correction des copies, dans un lycée du Quartier latin. Moi, jeune débutant, j'entrais, intimidé de me trouver chez les dieux de l'Olympe. Sur l'estrade, les inspecteurs épiscopaux s'écoutaient parler, comme d'habitude. De temps en temps, un demi fou se dressait et hurlait : le sujet sur la Chine est beaucoup trop facile, c'est la décadence. Alors, un autre, tout aussi hargneux, levait les bras au ciel : au contraire ce sujet est beaucoup trop difficile. Les inspecteurs, qui pourtant ne sont pas des tendres, ne savaient plus quoi faire et ne maîtrisaient plus rien. On sortait de là avec le tournis, attristé, sans idées précises pour la correction. Chaque année, la même scène recommençait et l'on entendait d'atroces gémissements sur le niveau qui baisse. Snif snif. Il y avait de gros écarts de notes.

Or, ce qui était plus ou moins tolérable avec un bac pour l'élite bourgeoise ne peut plus être admis dans notre société marquée par le chômage et la pauvreté, avec un lycée massifié, où l'économie exige des qualifications plus hautes, où les employeurs demandent que la moitié d’une classe d’âge possède un diplôme universitaire.

Désormais on veut coordonner, harmoniser, rationaliser pour réduire les injustices de notation. De plus en plus de candidats protestent contre les notes. L'Educ-Nat peine à calmer la fureur de l’opinion. Mais cette rationalisation est-elle réalisable ? Autre problème : sur le marché du travail le Bac ne sert plus à rien. On fait donc beaucoup d'efforts pour pas grand' chose.

La « présidente » du groupe est syndiquée et membre du CA de son lycée. Elle a assisté à une précédente réunion dirigée par des inspecteurs. Elle en fait le rapport.

Auparavant, les inspecteurs avaient prélevé quelques copies dans les paquets, les avaient lues et en avaient corrigées trois : une bonne, une mauvaise et une moyenne. Les écarts de notes étaient forts. La mauvaise copie a été notée entre quatre à sept sur vingt, selon les correcteurs. La copie moyenne entre neuf et douze et la bonne copie entre quinze et dix-neuf. Il peut donc y avoir jusqu’à QUATRE points d’écart entre les correcteurs.

Conseils donnés par la high society scolaire :

Il ne faut pas mettre de demi points, utiliser toute la gamme de zéro à vingt. Excellent. Il faut valoriser la langue et l’expression, l’histoire-géo étant une discipline littéraire. Oui, mais problème : en général ce sont les bourgeois qui maîtrisent la langue. L'orthographe est de droite, l'orthographe est facho.

On nous donne une consigne claire et nette : donnez le plus possible de bonnes notes. Au moins, cela a le mérite de la franchise. Les inspecteurs ont la trouille que dans la prochaine réforme des lycées, l’histoire-géographie ne soit plus obligatoire en terminale. Il faut gonfler les notes pour rendre notre discipline attrayante et ainsi maintenir des postes. Vieil argument corporatiste et conservateur.  Mais si l'argument est discutable, sur le fond les inspecteurs ont raison. A quoi bon noter strict ? Par plaisir sadique d'humilier les élèves ?  Autrefois moi aussi j'ai noté ric-rac afin de "défendre le niveau", "défendre la culture". La moyenne de mes copies oscillait entre 9,3 et 10, 5/20. J'ai vu certains noter  vache pour ne pas être retenus l'année suivante.

Il me semble maintenant que cette attitude est erronée. Cette année je noterai généreusement.

Dans les sujets, nous remarquons que dans les questions posées, la paraphrase des textes est encouragée et l’esprit critique découragé. Ceci n’est pas absurde. Dans nos classes, les élèves ont de moins en moins d’esprit critique. Pire même, cela les met mal à l’aise. Quelque chose de profond a changé dans la civilisation. Il se meurt l'esprit des Lumières ; adios amigos il fallait tenir tes promesses. 

La présidente du groupe projette au mur quelques copies. Dans la mauvaise, celle qui a reçu quatre sur vingt, j'observe des remarques renversantes à propos du texte sur la constitution roumaine de 1965. L’élève écrit à propos de ces Roumains vivant sous la terreur stalinienne : « ils sont maîtres de leur propre sort », « le peuple organise des scrutins universels », « la liberté d’expression est garantie ». Et je n’ai pas eu le temps de tout noter ! Au fond peut-être n’est-il pas possible d’espérer que tout le monde puisse avoir un esprit critique. Et les profs, eux, ont-ils réellement un esprit critique ? Peut-être faut-il choisir entre l’intelligence et la « démocratisation » des diplômes.  Si l’on veut « démocratiser » le bac (le massifier), il faut baisser le niveau ? Pourtant croit-on vraiment que les parents d'ouvriers seront dupes ? Ce serait les mépriser. Ils ont peur des évolutions en cours ; ils n'ont pas confiance. Ils ont toujours été grugés par ceux qui détiennent du capital culturel.

D'ailleurs, soyons francs, à quoi a servi cet esprit critique ? Partout il y a guerres, massacres et tortures, la politique du gouvernement utilise vis-à-vis des immigrés des méthodes dignes de Vichy, en ex-Yougoslavie ou en Belgique des Européens ayant reçu des cours d’histoire-géo n’hésitent pas à massacrer ou persécuter leurs voisins de palier. L’esprit critique se dévalorise parce que les partis traditionnels de gauche se modérent, s'embourgeoisent, et finalement ne sont plus de gauche.

J’apprends que certains collègues n’ont pas encore été payés de leur correction du Bac 2007. Un an après ! Leurs interventions, ainsi que celles de leurs proviseurs et des inspecteurs restent sans effet. Malgré l’informatisation, l’administration du ministère se caractérise par sa lenteur et sa bureaucratie. D'ailleurs, dans quelles conditions est-elle faite, cette informatisation ? Oyez, oyez, bonnes gens, l'URSS habite désormais rue de Grenelle, c'est la dérive des continents. De plus, ce gouvernement de droite cherche à faire des économies par tous les moyens. 

Il faudrait avoir le courage de se révolter, boycotter et empêcher la tenue et la correction de ce Bac vermoulu. Mais nous n’osons bousculer le dogme, un peu comme ces adolescents qui n'osent pas pisser dans le bénitier parce que monsieur le curé ne serait pas content.

Il paraît que dans les réunions préparatoires, les géographes ont protesté parce que cette année le sujet d’histoire valant douze points et celui de géo huit seulement, la géographie se voit qualifiée de « sujet mineur ». "Mineur", quelle offense ! Les géographes bondirent : nous ne sommes pas « mineurs », nous sommes égaux aux historiens, halte aux discriminations ! Il faut donc maintenant parler de Première et de Deuxième partie du bac, au lieu de sujet « mineur » et « majeur ». Ouf l'honneur est sauf.

On nous distribue quelques documents pour nous aider à corriger. Vous les lirez plus bas. Ils ont été rédigés par des inspecteurs.

Après la réunion, je vais chercher les copies. Je remarque avec plaisir qu’il y en a moins qu’autrefois. Au lieu d’une centaine, je n’en ai qu’une soixantaine. Tout n’est donc pas négatif.

Il parait que les prochaines années, nous ne pourrons plus corriger les copies chez nous. Il faudra venir dans un lycée. On nous demande aussi un bilan à mi-parcours. Harmonisons, harmonisons... Corrigeons, corrigeons, en rang serrés ! Han, dé ! Han, dé !

Les privilèges aristocratiques du métier disparaissent. Il devient normatif, formaté et militaire.

Une évolution à la fois bonne et mauvaise. En tous cas, inévitable.

.2) Document émanant du lycée centre de correction relatif à la notation. 

Aux correcteurs

1)   Consignes de corrections (extrait du mémento 2008 du Chef de centre édité par la Maison des Examens)

Le correcteur doit porter sur chaque copie : la note sur 20 exprimée en nombre entier (article 7 du décret du 15 septembre 1993) et à l'encre (pas de note au crayon). Ce point est impératif. Un correcteur ne peut pas présenter des copies faisant apparaître des notes exprimées en décimales. Si tel était le cas, le président de jury au regard de la note attribuée, est habilité à arrondir d'office la note finale au point supérieur.

Les copies corrigées pouvant être communiquées aux candidats, les éléments de corrections doivent être clairs et incontestables (exactitude des totaux, lisibilité des notes partielles, références éventuelles au barème, etc...). De plus, en cas de devoir incomplet, le signaler, de même s'il y a un doute sur le nombre de feuillets intercalaires.

Très important : les notes doivent être clairement expliquées et justifiées, en particulier les notes inférieures à la moyenne ; "le résultat de l'examen ne doit pas apparaître au candidat comme une décision dont la motivation lui échapperait". (N.S du 9 mai 1995).

Il est recommandé d'éviter des formules lapidaires ou trop définitives dont l'interprétation pourrait déborder la seule évaluation du devoir, ainsi que l'humour ou la familiarité. En effet, le non respect de ces consignes peut donner lieu à des contentieux délicats à traiter.

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