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lycée banlieue culture
26 février 2008

Débat sur le Val-Fourré 2002

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Libération lundi 11 février 2002

Mantes-la-Jolie, envoyé spécial.

Trois heures de paroles sur la violen­ce, les jeunes, la cité. Et une jeune fille qui lance : « Qu'est-ce qu'on fait ?» La salle se tait. Elle répète: «Qu'est-ce qu'on fait ?» Trois fois. C'était samedi à Mantes-la-Jolie. Une centaine de personnes se retrouvent à la maison des syndicats. Ils sont enseignant, libraire, parent d'élèves, médecin, étudiant. Plutôt à gauche, voire à gauche de la gauche. Ils se sont assis en cercles sur des chaises brunes à l’appel de Mieux vivre ensemble dans le Mantois. Tout est dit dans le nom du col­lectif et, franchement, « il y a du boulot », selon l’un de ses membres : « Au départ, c'est l’industrie automobile qui a suivi le cours de la vallée de la Seine où nous sommes. Après ce fut le chômage dans l'in­dustrie automobile et maintenant, c'est le désespoir qui coule dans ce coin de vallée.»

Urgence.

A quelques centaines de mètres, il y a la grande cité du Val-Fourré. On en parle quand un policier est acquitté après avoir tué un jeune homme. C'était, il y a quatre mois, devant les assises de Versailles (Libération du 29 sep­tembre). La violence au Val-Fourré, c'était encore la semaine dernière. Deux bandes s'affrontent, mercredi après-midi, sur la dalle du centre commercial Fragonard. Coups de feu, armes blanches, jets de pierre. Trois personnes sont blessées et onze jeunes sont mis en examen et écroués. Alors, dit, samedi, un participant, il y a «urgence» à se réunir car la crain­te d'Abdelaziz, 24 ans, «c'est que cette violence se banalise». Il habite le quartier des Peintres, au coeur du Val-Fourré. Pour lui, c'est tout le quotidien qui est miné par la violence. «Quand tu te lèves et qu'il n'y a pas d'eau chaude, que tu restes deux, trois jours sans chauffage, avec un petit bébé. La vie au Val-Fourré, c’est déjà un rapport de force avec le bailleur. Parfois, on entame plusieurs pétitions sans le savoir. L’un d'entre nous en commence une au bas de la tour et l'autre au som­met. On finit par se croiser au milieu des étages.» La voix est tranquille mais le ton est rugueux, même pour ceux qui pensent parfois bien faire. Abdelaziz : « L'image qu'on donne aux jeunes de leurs parents, de leurs cultures d'origine, est catastrophique. Notamment à l’école. Moi, j'en ai marre de ces fêtes où l'on nous demande d'’apporter du couscous ou d'interpréter des danses africaines. Comment voulez-vous intégrer les jeunes quand vous leur faites comprendre que « vous c’est vous et nous, c’est nous ». On est toujours dans le rapport à l'indigène. Ce n’est pas une démarche d’intégration. Il ne faut pas s’étonner que, dans ces conditions, les jeunes se referment. »

Une jeune femme se lève, mince et sombre, dans son imperméable noir: « Je suis née au Val-Fourré. On a vécu des moments difficiles mais on ne supporte plus cette violence. C'est invivable pour ceux qui ne peuvent pas partir du quartier.»

Résistance.

Yazid Kherfi écoute. Après une jeunesse cabossée, racontée dans un livre (1), il a dirigé la maison de quartier de Chanteloup-les-Vignes (Yvelines), une des cités les plus dures d'Ile-de-France. Il explique aux travailleurs sociaux, aux policiers, comment travailler avec les plus violents. Et intervient, bien sûr, auprès des jeunes. Aujourd'hui, il est un peu le guetteur de ce débat. Il dit : « Ne soyez pas dans un sentiment de désespoir. On a tous des compétences, des réseaux. Quand il y a un problème dans le quartier, il se mobiliser à plusieurs pour aller dans la rue, dans la cour de l’école. Si quelqu’un se fait agresser, il faut aller voir les jeunes. Idem, si un policier vous parle mal, il faut aller voir le commissaire ».

C'est un peu comme une veillée avec la pluie qui résonne sur les toits métalliques. Comme à la veillée, chacun vient y conter des bouts de vie.

Le psychosociologue Didier Martin intervient dans les quartiers ouest d’Arras : « Quand j’interviewe les jeunes, je m'aperçois que tous les gamins ont été victimes de violences avant d'en commettre. C'est un gamin qui me dit : tu ne sais pas ce que c'est toi, quand, depuis l’âge de 5 ans, on te regarde comme si tu allais piquer la caisse quand tu entres dans la boulangerie. » Pour exister debout, on a besoin de se défendre. L'acte de résistance est nécessaire pour les jeunes mais il faut le canaliser».

Res­te à savoir comment, dans des quartiers où il n'y a plus de syndicat ou de parti politique pour valoriser l’action collective. Où, aussi, «Chirac est considéré comme le premier délinquant de France», dit un participant. « Je ne suis pas certain que les modes de représentation de la planète Mc Do soient le meilleur moyen pour canaliser la violence», souffle un enseignant.

Dalila est profes­seur d'anglais dans un collège de Mantes-la-Ville. Face à la violence, elle a participé la formation d'élèves-médiateurs capables de gérer des conflits (une insulte, un vol de stylo) sans que les adultes interviennent. Et ça marche. «Il y a moins d'agressivité et, l'année dernière, il y a eu un seul conseil de discipline».

A côté des expériences comme celle de Dalila, beaucoup de questions ont fusé. Fondamentales, donc politiques. Comme celle de Didier Martin : « Et si, au lieu de parler de famille démissionnaire à propos de la violence des jeunes, on parlait d'adultes en perte de dignité sociale ? »

Jacky Durand 

(1) Repris de justesse, éditions Syros.

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