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lycée banlieue culture
14 décembre 2007

Emmanuel Terray, Le grand ménage de nos mémoires

Le grand ménage de nos mémoires


Par Emmanuel Terray le 3 janvier 2006

De la croisade des Albigeois à Robespierre, réexaminons l’histoire de France et identifions les coupables.

Depuis quelque temps, le débat sur la mémoire et sur les épisodes sombres de l’histoire de France a pris un nouvel essor. Pour l’instant, la discussion porte sur l’esclavage, sur la colonisation, sur Vichy et sur la guerre d’Algérie. Mais pourquoi s’en tenir là ? Il serait dommage de s’arrêter en chemin et d’interrompre un travail si bien commencé. Je propose donc que, toutes affaires cessantes, le Parlement consacre sa prochaine session à un réexamen de l’histoire de France. Il s’agirait d’abord de recenser tous les crimes contre l’humanité qui ont été commis durant cette histoire, de les reconnaître comme tels par la loi, et d’en interdire l’apologie. Il s’agirait ensuite d’identifier les coupables de ces crimes, de condamner expressément leur mémoire, de détruire les monuments de toute nature qui ont pu être élevés en leur honneur dans le passé et d’interdire à l’avenir tout éloge ou tout hommage qui pourrait leur être adressé.

A titre indicatif, une première liste de crimes pourrait être proposée : elle comprendrait la prétendue croisade des Albigeois ; l’écrasement des révoltes paysannes, jacques, nu-pieds, croquants ; le massacre de la Saint-Barthélemy ; les massacres de Septembre 1792 ; la Terreur ; les noyades de Nantes ; les colonnes infernales du général Turreau en Vendée ; les exécutions massives ordonnées à Lyon par Collot d’Herbois et Fouché ; la Terreur blanche ; le massacre de la rue Transnonain sur l’ordre du maréchal Bugeaud, la répression des Journées de juin 1848 et celle de la Commune. Parmi les coupables, on pourrait donc citer corrélativement le roi Philippe-Auguste et Simon de Monfort ; le roi Charles IX et sa mère, la reine Catherine de Médicis : Blaise de Monluc et le baron des Adrets ; Robespierre, Saint-Just, Couthon, Fouquier-Tinville ; Carrier, Turreau, Fouché, Collot d’Herbois ; le maréchal Bugeaud, le général Cavaignac et Thiers, bourreau de la Commune.

A titre d’information, on peut noter que dans la seule agglomération parisienne, Philippe-Auguste et Robespierre ont leur station de métro ; Philippe-Auguste et Bugeaud ont également une avenue ; il existe dans le XIe arrondissement une rue Cavaignac, mais elle honore, non pas le général, Eugène, mais son frère Godefroy ; on pourrait donc la conserver ; en revanche Thiers possède une rue et un square, situés comme on pouvait s’y attendre dans le XVIe arrondissement. Enfin, il faudra s’interroger sur la rue de Médicis, bien qu’elle ne désigne pas expressément la reine Catherine. A l’échelle nationale, on mesure l’ampleur de la tâche. Une fois cette grande lessive achevée, nous pourrons, libérés de nos remords collectifs, nous tourner, l’âme pure et le coeur en paix, vers le présent et vers l’avenir. La lutte contre le chômage, contre la pauvreté, contre les discriminations, peut bien attendre jusque-là. Il y a une hiérarchie des urgences, et quoi de plus urgent que ce nettoyage de nos mémoires ?

Emmanuel Terray directeur d’études à l’EHESS.

Article paru dans Libération, mardi 03 janvier 2006 

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